György RÓZSA |
L'assistance technique est probablement la notion la plus générale de l'aide accordée aux pays en développement. L'expression "en développement" est à la fois un certain euphémisme car il s'agit d'un sous-développement ce dont toute une littérature spécialisée est née et qui pourrait combler le fossé entre les pays développés et les pays en développement. Et il resterait encore beaucoup de places. Sans aucun doute, les tonnes de papiers nouvellement produits par la société de la super-autoroute de l'information pourraient servir de diminuer le fossé pendant des années mais il serait irréel de penser que l'écart disparaîtrait complètement. De même que l'égalité des chances économiques et culturelles pour des raisons historiques. L'objectif réel est de limiter et de diminuer des inégalités de niveaux différents propres à chaque région.
La société de la super-autoroute de l'information est pratiquement synonyme de la modernisation et par cela même de la croissance économique et culturelle.
Ce raisonnement est-il bien fondé? La question reste ouverte même dans les pays développés voir dans ceux de l'Union Européenne qui comptent 18 millions de chômeurs. Le développement économique est le moyen le plus efficace de la modernisation et surtout de la technique. C'est un lieu commun. Il n'est pas possible de prévoir avec exactitude quelles sont ses conséquences sur la société. A ce sujet, on pourrait citer avec un certain cynisme Alfred Sauvy, le grand démographe français, selon qui les statistiques sont innocentes mais elles avouent tout sous la torture. S. W. Churchill ne croyait qu'aux statistiques qu'il avait fait falsifier lui-même. La réalité est bien plus rude dans les pays en développement comme p.ex. en Ruanda ou en Indonésie. Dans les pays développés, les crises sont moins sanglantes dans la plupart des cas et elles peuvent être mieux maîtrisées, tout au moins, à l'heure actuelle. Les phénomènes sociaux négatifs de l'effort de modernisation peuvent y être mieux traitées.
En abordant la Hongrie de plus près, il serait à mentionner que l'attention est portée sur les intérêts économiques directs sans approfondir les corrélations entre la modernisation et les pays en développement.
Il est compréhensible que l'attention se tourne vers la civilisation développée (Nord/Sud ou Centre/Périphérie) et vers l'adhésion à l'Union Européenne. Il semblerait que cela fait oublier un peu les autres questions clés du siècle à venir malgré le fait selon les indices démographiques, une majorité plus importante du monde va vivre dans les zones de crise des pays en développement qu'à l'heure actuelle. Et, dans peu de temps, cela peut rendre la situation internationale encore plus instable, et en premier lieu, l'Europe dont certaines régions sont aux prises avec les crises ethniques et économiques.
La mise en oeuvre commune de l'informatique et de la communication approfondira probablement davantage l'instabilité dans les régions en mutation étant donné que les conditions sociales, culturelles et organisationnelles - nécessaires à ce programme haut de gamme - manquent toutefois dans les pays qui se développent le moins. Selon un beau dicton pris d'un ouvrage de l'UNESCO, lorsqu'une personne noire âgée décède en Afrique, toute une bibliothèque est perdue. La distance est grande entre la culture verbale et la technique la plus moderne. Même si la main d'oeuvre bon marché peut devenir apte pour fabriquer en sous-traitance des produits haut de gamme de la technologie de pointe. Sans capital ni formation, il n'est pas possible devenir "un petit tigre" ni "un grand tigre". En effet, pour illustrer cette idée, il faudrait évoquer l'exemple de la Chine. Comme chacun le sait, la Chine se modernise à grande vitesse aujourd'hui, alors qu'il y a quelques dizaines d'années, la sidérurgie populaire avait totalement échoué malgré la culture de quatre mille ans qui n'a pas pu rendre service. Cette idée est d'autant plus vraie que si, en l'occurrence, certaines conditions techniques comme les réseaux de télécommunication et l'informatique étaient leur étaient assurées grâce à des aides externes. Mais ces conditions techniques ne sont pas assurées car elles ne représentent pas les intérêts de l'économie de marché. Pourquoi il y aurait des intérêts? A quel propos? Le monde développé, comme l'Union Européenne a besoin avant tout de la matière première et de la main-d'oeuvre bon marché et si possible, d'un bon pouvoir d'achat. La politique est étroitement liée aux intérêts stratégiques et militaires et aux intérêts directs de l'économie de marché, elle en est indissociable.
L'opinion publique hongroise est-elle consciente de ces phénomènes et dans quelle mesure elle s'y intéresse? L'expérience en partie défavorable, l'éveil du sentiment xénophobe par ici et par la, les tensions sociales et économiques existantes, le fait de l'adhésion à l'Union Européenne et les tendances principales de la politique extérieure (comme p.ex. la question des hongrois des états voisins) pourront-ils laisser assez de places pour s'interroger sur les pays en développement. Une partie restreinte des professionnels, les fonctionnaires des ministères concernés, les entrepreneurs, les professeurs d'université et les chercheurs seront préoccupés de ces questions. Comme il s'agit d'une catégorie économique plus dure - au delà des activités théoriques - il faudrait avoir une curiosité plus intensive et plus étendue.
En Hongrie, l'intérêt premier n'est pas tout simplement d'avancer des réflexions portant sur le commerce extérieur et les investissements mais d'assurer la formation des experts et la spécialisation pouvant permettre d'analyser et de traiter les problématiques complexes des pays en développement et d'intervenir dans ces pays en qualité d'expert international grâce à des efforts considérables. En Hongrie, il s'agit de la réévaluation du travail intellectuel dans certains secteurs. Nous pourrions faire beaucoup dans les domaines suivants: l'ethnographie, la linguistique, la théologie, la psychologie, la sociologie, l'organisation, la formation, la culture, l'économie, l'agriculture, la médecine et la technique. L'investissement intellectuel de ce type serait rentable à longue terme sur le plan économique. Le succès des investissements matériels pourrait etre basé sur le critère du niveau des investissements intellectuels, même à l'échelle internationale. Les experts hongrois qui ont travaillé dans les pays en développement ont acquis une certaine reconnaissance et leurs activités ont été bénéfiques. La Société Hongroise de l'ONU possèdent des données à ce sujet. Mais pour élargir la coopération ultérieure, il est nécessaire d'élaborer et d'adopter une stratégie, ce terme étant tellement a la mode.
Dans le cadre de l'Union Européenne, il serait possible de mettre en oeuvre des institutions "sous le même toit" - vu les obstacles culturels, ethnologiques et économiques déjà présentés - au lieu de recourir à la répartition du travail adoptée dans l'économie du marché. Autrement dit, l'objectif à atteindre serait la "domestication " de la modernisation basée sur la division développée du travail selon les conditions d'un domaine donné. La division du travail de l'économie de marché ne peut être considérée ab ovo décrétée dans les pays en développement. Le contraire serait que plusieurs activités puissent se poursuivre à l'intérieur d'une seule institution avec une logistique et une infrastructure, au lieu de suivre un travail éducatif, culturel et économique spécialisé selon le modèle des pays développés. Il serait possible de relier, entre autres, l'enseignement avec la formation professionnelle; l'alphabétisation avec la scolarisation élémentaire et la formation du second degré; la formation spécialisée de l'agriculture et de l'industrie, avec des parcelles et des ateliers annexes. Dans le domaine de la culture et des collections publiques: bibliothèques, archives, lieux d'exposition, éditions et diffusion, les moyens financiers et professionnels faisant défaut pour s'enrichir des oeuvres éditées en langue(s) nationale(s) ou pour les diffuser. Ainsi, après l'alphabétisation, il reste peu de moyen ou rien du tout pour la pratique de la lecture. Le travail de base lecture-écriture-formation peut être oublié ou au pis-aller la lecture consistera en la compréhension des textes religieux. Dans certaines branches, le modèle multifonctionnel intégré ne peut pas être appliqué. Il en serait de même pour la formation supérieure des sciences médicales ou techniques si ce type formation supérieure pouvait être dispensée sur place. Le modèle multifonctionnel intégré pourrait permettre l'utilisation plus efficace et plus économe des ordinateurs, des microfiches, du xerox et de la télécopie. Le management pourrait permettre un système de direction unifiée tout en respectant ainsi l'autonomie professionnelle nécessaire dans des branches différentes.
Une telle solution pourrait contribuer pour atteindre le niveau adéquate de l'organisation si indispensable dans les pays en développement. N'ayons pas peur d'utiliser le terme de planification emprunté de la terminologie des pays occidentaux; cette planification signifie dans le modele multifoncionnel une des formes particulières de l'intégration organisation-culture-éducation.
Afin d'y parvenir, il est nécessaire que les organisations gouvernementales et non-gouvernementales internationales changent fondamentalement leurs points de vue qui sont conformes aux principes de la répartition du travail fondés sur les modeles des pays avancés. A ce propos, je pourrais citer l'exemple de Ruanda où j'ai été en mission il y a quelques années pour mettre en oeuvre un projet national d'information UNDP/UNESCO. J'y ai passé quatre semaines. Pendant ma mission, des experts spécialisés dans le domaine de l'archivistique, de l'agriculture, de l'industrie, de l'information et d'autres secteurs étaient présents pour créer une douzaine de programmes et pour mettre en place des institutions. Ce vaste programme devait etre réalisé dans un pays qui comptait à peine 20 experts (initiés) pour assumer ces tâches.
Le modèle intégré et multifonctionnel ci-haut présenté est valable, en premier lieu, pour des territoires moins développés. Le modèle pourrait y être expérimenté en fonction des circonstances concrètes, sous forme réduite à des degrés divers (des initiatives ont été déjà prises dans l'agriculture non sans succès). Il est certain que la concentration des efforts serait plus rationnelle sur le plan économique.
Les experts hongrois pourraient contribuer à cela. Par cela, la surproduction éventuelle des intellectuels par secteur et de la main-d'oeuvre spécialisée pourrait diminuer, les yeux habituellement tournés à l'Europe pourraient s'ouvrir beaucoup plus vers le monde. Au cours de l'histoire nationale hongroise, les yeux devaient se tourner vers Paris, sur recommandation du poète Batsányi et puis obligatoirement vers l'Autriche et l'Allemagne, sans oublier l'Union Soviétique. Avec un peu d'exagération, ces multiples regards auraient pu rendre l'intelligentsia hongroise strabique.
A ce point de vue, l'Union Européenne représente le système de tout un continent et non celui d'un seul pays et, de ce fait, il ne faut plus tourner la tête à droite et à gauche. Si nous nous habituons à voir le monde non seulement "blanc" et modifier la vision quasi uniquement hongroise, nous pourrions le découvrir dans toutes ses couleurs et dans toutes ses diversités, l'enclin à l'aspect provincial se diminuerait faisant place à une vision internationale plus réaliste. Cela serait un des apports des initiatives ci-haut exposées et en fin de compte c'est ainsi que la modernisation des pays en développement pourrait être liée à la vision hongroise - plus nuancée - sur le monde.