PELETAN, Sandrine:
Vers la
consolidation de la protection internationale
des biens culturels en cas de conflit armé
La destruction des Bouddhas de la Vallée de
Bamiyan le 26 février 2001
par les talibans constitue un exemple significatif de l’impuissance de la
communauté internationale face au terrorisme culturel.
A l'image de la majorité des dispositions
conventionnelles internationales, les normes universelles de protection
des biens culturels, sous leur forme actuelle, n’assurent pas
une protection efficace des sites et ne peuvent empêcher leur
destruction. En l’espèce, le gouvernement des talibans, prétendant d’être
le gouvernement du pays a été tenu de respecter les règles coutumières de
la protection des biens culturels en cas de conflit armé, mais non la
Convention de La Haye, l’Afghanistan ne l’ayant jamais ratifié.
De plus, bien qu'ayant le caractère d'obligations de droit
international pour les Etats qui y souscrivent, leur violation n'entraîne
guère la mise en oeuvre de la responsabilité de leur auteur. En effet,
selon le droit international, l'inexécution non justifiée d'un traité
entraîne la responsabilité internationale de l'Etat. Mais l'efficacité de
cette garantie est toute relative et dépend de la volonté de l'Etat qui
reconnaît ou non à l'amiable sa responsabilité. Dans ces conditions, de
nouvelles méthodes doivent être impérativement adoptées. On ne saurait se
satisfaire que ces Conventions priment juridiquement sur les règles
nationales. Elles doivent à la fois s'imposer aux Parties et susciter
l'adoption de mesures positives de nature à améliorer le sort des biens
culturels. Il s'agit désormais que les Conventions internationales ne
soient plus seulement de généreuses proclamations, mais qu'elles
favorisent la mise en oeuvre d'actions tangibles. A cette fin, certaines
améliorations peuvent être envisagées,
améliorations qui passent inéluctablement par le renforcement de
l'effectivité du système conventionnel.
Consciente des lacunes des instruments
internationaux élaborés en son sein, l'UNESCO a impulsé trois réunions
d'experts destinées à réfléchir sur des solutions de nature à améliorer
notamment l'application de la Convention de 1954. La première rencontre eu
lieu à La Haye du 5 au 7 juillet 1993 à l'invitation du gouvernement
néerlandais. Elle fut l'occasion de prendre connaissance du rapport
préparé pour le Secrétariat de l'UNESCO par le professeur Patrick Boylan.
Au cours des discussions, il fut admis que l'objet et le but de la
Convention étaient toujours valides et réalistes et que ses principes
fondamentaux pouvaient être considérés comme appartenant au droit
international coutumier. Une seconde assemblée s'est tenue à Lauswolt
(Pays-Bas) en février 1994 et la troisième à Paris au siège de l'UNESCO le
13 novembre 1997. Ces réunions mirent en exergue les faiblesses des normes
de protection des biens culturels en cas de conflit armé.
Elles permirent également de soumettre à l'appréciation des intéressés des
projets d'amendement conventionnels. Nous examinerons donc successivement
les mesures concrètes pouvant être prises par les acteurs internationaux
afin de faciliter l'application de la Convention de 1954 puis la portée du
Protocole additionnel adopté le 26 mars 1999.
I.- DES
AMELIORATIONS INSUFFLEES PAR LES ACTEURS DU DROIT INTERNATIONAL
Il convient de rappeler que l'acceptation
universelle de la Convention et de son Protocole est la condition
essentielle d'une protection efficace des biens culturels en période de
conflit armé. Les Etats (qu'ils soient parties ou non à la Convention), en
tant que sujets principaux du droit international, ont un rôle
prépondérant à jouer dans la mise en œuvre
de la Convention de 1954. Toutefois les récentes évolutions de la matière
mettent en lumière le rôle décisif des organisations internationales et
des organisations non gouvernementales qui, sans égaler les Etats,
remplissent des missions qui gagneraient à être étendues.
Le rôle des Etats
D'abord en ce qui concerne les Hautes Parties contractantes, seule une
minorité a rempli correctement ses engagements pris lors de la
ratification. En effet, il semble qu'on ne puisse citer que cinq exemples
(la Suisse, l'Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Vatican) de mise
en application sérieuse et efficace des dispositions d'ordre pratique de
la Convention. Ainsi les Pays-Bas ont décidé d'en adopter une approche
intégrée en souscrivant à des mesures préventives, applicables en temps de
paix comme en cas d'urgence. Dans le même sens, la Suisse applique, depuis
sa ratification le 15 mai 1962, une politique de diffusion de la
Convention passant par des mesures d'information de la population civile
et militaire, d'identification des biens culturels et de protection
concrète[1].
Malheureusement dans la plupart des cas, les Hautes Parties contractantes
négligent de prendre ce genre de dispositions nationales, pourtant simples
et peu onéreuses, de nature à assurer plein effet à la Convention. Pour ne
parler que de la France, il est permis de remarquer que l'éclatement des
compétences d'exécution entre les différents ministères empêche l'adoption
d'une politique générale de protection du patrimoine physique et favorise
uniquement des mesures sporadiques peu enclines à assurer une diffusion du
système conventionnel international. De plus, les Hautes Parties
contractantes omettent surtout de créer dans leur droit pénal national une
infraction pour crimes de guerres et autres "délits culturels" qui
permettrait de sanctionner les éventuelles violations de la Convention et
de pallier ainsi l'absence de sanction internationale en la matière.
Cependant, comme on ne peut que le constater, toutes les Hautes Parties
contractantes ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir pour convertir
leurs obligations conventionnelles en actes. Il leur reste encore beaucoup
de chemin à parcourir avant de s'être totalement conformé aux exigences de
la Convention. Aussi afin d'élargir la portée de celle-ci, il leur est
donc instamment demandé de suivre la voie tracée par les pays cités en
exemple. Il leur est au besoin conseillé de se faire assister pour la mise
en application pratique de la Convention d'un comité consultatif national
comme le prévoyait la résolution II de la Conférence intergouvernementale
de 1954. Elles sont également invitées, si elles sont aussi parties à la
Convention de 1972, à faire bénéficier les biens inscrits sur la Liste du
patrimoine mondial de la "protection spéciale". Par conséquent, les Hautes
Parties contractantes ont encore de nombreux progrès à faire pour garantir
une application effective de la Convention mais iront dans la bonne
direction si elles suivent les Etats précurseurs en ce domaine.
Ensuite, pour
ce qui est des Etats non parties à la Convention de 1954, rappelons que
celle-ci appartient au droit international coutumier en ce qu'elle
prolonge des instruments internationaux antérieurs, notamment les
Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 et le pacte Roerich de 1935.
Aussi, en cas de conflit armé, elle pourrait être applicable nonobstant la
ratification des Etats parties au conflit. Par conséquent l'ensemble des
Etats composant la communauté internationale est lié par ses principes. A
ce titre, ils ont l'obligation d'introduire dans leur droit interne des
dispositions significatives prévoyant l'investigation et la répression des
"délits culturels" commis sur leur territoire. Ils se doivent aussi de
promouvoir des programmes d'éducation et d'information à l'adresse du
public mais surtout des forces militaires. Ces dernières en tant
qu'actrices principales des conflits doivent avoir reçu une formation
suffisante en droit militaire et civil, international et national,
relative à la protection culturelle. Cette instruction s'adresse aussi
bien aux officiers qu'aux simples soldats et est destinée à les
sensibiliser à la nécessité de protéger et de respecter les biens
culturels en cas de conflit armé. Une formation au droit humanitaire doit
être intégrée à la formation militaire de base et non traitée comme une
question marginale. A cet égard, il est permis de citer l'expérience de la
Croix Rouge libanaise qui a su former au droit humanitaire, à raison de
2500 à 3000 personnes par an, des milices qui en ignoraient les principes.
Toutefois la méthode la plus achevée résiderait dans une acceptation
massive de la Convention par les Etats membres de l'UNESCO
non encore parties. En dépit de toute la bonne volonté du Directeur
général qui ne manque jamais une occasion de mobiliser les Etats sur ce
point, il semble que nous ne soyons pas près d'atteindre cet objectif.
Peut-être est-il alors préférable de nous en remettre aux organisations
internationales pour espérer enregistrer des progrès dans la mise en
oeuvre de la Convention.
L’action des organisations internationales
A ce
titre, l'action de l'UNESCO est primordiale. En effet, elle invite
toujours ses Etats membres à ratifier la Convention de 1954 dès les temps
de paix. De plus, le déclenchement d'un conflit est d'ordinaire considéré
comme une période opportune pour insister auprès des protagonistes sur la
nécessité d'être Partie à la Convention. Ainsi dans la plupart des
hostilités, le Directeur général prend l'initiative de demander aux
belligérants de s'en tenir à leurs engagements.
Il insiste notamment sur la nécessité pour eux de se conformer
spécialement aux exigences de l'article 4 de la Convention (relatif au
respect des biens culturels). Il arrive aussi parfois que pour s'assurer
du respect matériel de la Convention, le Directeur général dépêche des
envoyés spéciaux pour attirer l'attention des autorités locales sur leurs
obligations. Tel fut le cas par exemple en Yougoslavie quand Monsieur
Fédérico Mayor délégua à deux occasions son Directeur de Cabinet afin
qu'il s'entretienne avec les autorités civiles et militaires de Belgrade
et de Zagreb. Aux vues de ces quelques exemples, on s'aperçoit que
l'Organisation multiplie les initiatives de promotion de la Convention et
s'implique totalement dans son processus de mise en oeuvre effective. Elle
a ainsi pu apporter durant ces cinquante dernières années une importante contribution à la réduction de la
perte de patrimoine grâce à une utilisation souple des pouvoirs
discrétionnaires étendus dont dispose le Directeur général au titre de son
mandat. Pourtant il semble que ces interventions soient encore
insuffisantes. En effet, l'embarras dans lequel se trouve l'UNESCO pour
remplir sa mission s'explique principalement par le manque de moyens
techniques et financiers qui la frappe. Si les bonnes volontés ne manquent
pas, les capacités logistiques, elles, font défaut. C'est pourquoi à
l'issue des différentes réunions d'experts, certaines observations ont pu
être exposées. Comme la Mission d'observation de la Communauté européenne
l'avait déjà souligné, dans un rapport de juin 1994, la surveillance du
patrimoine culturel serait plus efficace et crédible si la durée des
missions d'experts était plus longue (deux à trois ans au lieu de six mois
actuels) et si elles disposaient d'une base permanente dans la région
concernée. On note également que la protection de l'UNESCO ne doit pas, en
temps de guerre, se limiter aux sites célèbres et importants mais qu'elle
doit être généralisée à l'ensemble du patrimoine culturel de l'Etat sur le
territoire duquel les opérations se déroulent. Les experts ont préconisé
la mise en route d'une étude de réactualisation du Manuel d'André
Noblecourt
relative aux mesures pratiques de protection actuellement pertinentes. Les
résultats de ces recherches seraient publiés et serviraient de référence à
tous les acteurs en charge de la protection des biens culturels en cas de
conflit armé. Enfin, l'UNESCO se doit de favoriser la compréhension et le
respect des multiples cultures en mettant en œuvre des programmes
d'information et d'éducation. Ceux-ci doivent servir à faire obstacle à la
propagande négative dominante en temps de guerre. Ainsi après le
bombardement de la ville de Dubrovnik, l'Organisation a produit et
enregistré un programme de radiodiffusion destiné à donner des
informations impartiales sur ces événements. Comme le laisse entrevoir ce
dernier exemple, l'UNESCO est sur la bonne voie. Elle fait tout ce qui est
actuellement en son pouvoir pour remplir le mandat qui lui a été confié
par son Acte constitutif. Cependant elle reste fortement dépendante
d'éléments extérieurs à sa volonté au premier rang desquels la pénurie des
moyens financiers qui frappe l'ensemble du système onusien.
Cependant son action serait confortée si elle pouvait compter sur le
soutien de l'ONU. Les Nations Unies en tant qu'organisation internationale
ne peuvent adhérer ni à la Convention de 1954, ni au Protocole qui ne sont
ouverts qu'à la ratification des Etats. S'il est irréaliste de penser que
l'ONU pourra mener une "action humanitaire culturelle",
elle devrait toutefois continuer à appuyer l'UNESCO et les Hautes Parties
contractantes dans leurs efforts visant à promouvoir la compréhension et
la reconnaissance de la dimension culturelle des relations
internationales. L'idée de faire participer activement l'Organisation aux
activités de maintien de la paix des Nations Unies apparaît comme une
possibilité pour améliorer l'application de la Convention de 1954 et comme
un moyen de renforcer sur le terrain la protection du patrimoine culturel.
Celle-ci agirait selon un objectif d'aide humanitaire au même titre que le
Haut Commissariat aux Réfugiés dans son domaine de compétence. Cependant
la meilleure solution serait que le Conseil de Sécurité des Nations Unies
perçoive la destruction des biens culturels comme une menace contre la
paix et donc qu'il puisse utiliser, dans ce cas, toutes les mesures du
Chapitre VII de la Charte.
Par ailleurs,
l’article 53
du premier du premier protocole additionnel aux Conventions de Genève
énonce : « Sans préjudice des dispositions de la
Convention de La Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens
culturels en cas de conflit armé et d'autres instruments internationaux
pertinents, il est interdit :
a) de commettre
tout acte d'hostilité dirigé contre les monuments historiques, les oeuvres
d'art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou
spirituel des peuples ;
b) d'utiliser
ces biens à l'appui de l'effort militaire ;
c) de faire de
ces biens l'objet de représailles. »
Dans la même
veine, l’article 16
du deuxième protocole additionnel aux Conventions de Genève dispose : « Sous
réserve des dispositions de la Convention de La Haye du 14 mai 1954 pour
la protection des biens culturels en cas de conflit armé, il est interdit
de commettre tout acte d'hostilité dirigé contre les monuments
historiques, les oeuvres d'art ou les lieux de culte qui constituent le
patrimoine culturel ou spirituel des peuples et de les utiliser à l'appui
de l'effort militaire ». L’appartenance de ces instruments au droit
international humanitaire étant indiscutable, ces deux articles peuvent à
juste titre fonder voire légitimer l’action
d’organisations internationales et plus particulièrement celle de l’ONU.
Outre les
situations de conflits traditionnels, les biens culturels pourraient être
inclus dans le champ des opérations de maintien de la paix. En effet, eu
égard aux progrès technologiques dans le domaine militaire et civil, la
crainte des Etats de rendre publiques des données détaillées sur leur
patrimoine culturel et notamment d'inscrire ce patrimoine sur le Registre
international des biens culturels sous protection spéciale n'est plus
fondée. L'établissement d'une documentation méthodique sur les biens
culturels protégés faciliterait la prise de mesures préparatoires en vue
de la sauvegarde de ces biens. Mais une fois encore, on se heurte aux
contingences financières et à l'opposition de la majorité de la communauté
internationale qui considère que préserver des biens de valeur unique est
dérisoire au regard de l'impératif supérieur de protection des personnes.
Pourtant il n'y a pas de gêne à se sentir concerné par le patrimoine
culturel quand des hommes et des femmes souffrent de la guerre. En effet
lorsque des quartiers historiques sont détruits ou endommagés, ces
personnes deviennent des réfugiés, réduits à cette dégradante expérience.
Alors la protection des biens culturels devient une condition de la
démocratie et la caution du respect des droits de l'homme. En tant que
vecteur de l'identité culturelle des peuples, le patrimoine mérite de
recevoir une protection adéquate laquelle par ricochet, servira de
bouclier aux droits des individus. A cette fin, l'UNESCO pourrait procéder
à la nomination d'experts faisant fonction d'agents de liaison et de
conseillers sur le terrain afin d'appuyer les opérations de maintien de la
paix. En retour, l'ONU fournirait installations et soutien logistique à
ces experts et considérerait leur mission comme une forme d'aide
humanitaire. Enfin, l'ONU pourrait élaborer des normes minimales en ce qui
concerne la formation de l'appareil militaire des Etats membres qui
fournissent des contingents pour les opérations de maintien de la paix.
Elle pourrait également collaborer à l'élaboration de programmes
d'information et d'éducation du public. Il convient seulement de remarquer
que si toutes ces directions de recherche sont sûrement de nature à
renforcer l'effectivité de la Convention de 1954; elles demeurent
suspendue à la condition expresse que l'ONU, elle-même, amplifie
l'efficacité de son fonctionnement.
La mission fondamentale des organisations non
gouvernementales
Toutefois force est de constater que la protection des biens culturels en
cas de conflits armés est aussi assurée grâce à l'aide concrète fournie
par les organisations non-gouvernementales (ONG). Si ces dernières ne sont
pas aptes à régler l'ensemble des problèmes de fonds concernant la mise
en œuvre de la Convention de 1954, elles peuvent néanmoins offrir un
précieux soutien matériel. En particulier les ONG, dont l'activité
principale a trait au patrimoine matériel, peuvent être des auxiliaires
providentiels pour l'UNESCO. Elles jouent un rôle primordial en matière
d'élaboration de normes professionnelles appropriées. Ainsi le Conseil
International des Musées (ICOM) est très actif dans ce domaine et
travaille par l'intermédiaire de groupes de réflexion à la promotion de la
Convention de La Haye. Mais les ONG jouent le plus souvent un rôle de
premier plan en fournissant une assistance tant technique que scientifique
dans les situations d'urgence. Il a été souligné à cet égard que leur
traditionnelle impartialité pouvait leur conférer un très net avantage par
rapport aux organisations gouvernementales ou intergouvernementales chaque
fois que de graves problèmes politiques interdisent l'intervention directe
de l'UNESCO. Ainsi au Cambodge à partir de mars 1972, l'UNESCO n'a plus pu
poursuivre ses activités, entreprises en juin 1970, car le pays s'avérait
être virtuellement coupé du reste du monde. Pendant toutes ces années, le
Secrétariat de l'Organisation était régulièrement tenu informé de l'état
du site d'Angkor, grâce aux missions que pouvaient entreprendre sur place
les représentants d'organisations d'aide strictement humanitaire ou les
organisations non-gouvernementales. Par ailleurs, les ONG internationales,
régionales ou nationales devraient favoriser les initiatives de ralliement
à la Convention et encourager la prise de mesures législatives ou
administratives de nature à garantir son application effective.
Néanmoins ces
actions ne sont que des expédients et s’est alors posé la question de la
révision pure et simple de la Convention de La Haye.
II.- LES
APPORTS DU DEUXIEME PROTOCOLE A LA CONVENTION DE LA HAYE
Comme les Conventions de Genève de 1949, la
Convention de 1954 est un acquis de l'après-guerre qui doit être préservé
à tout prix. Néanmoins les recherches entreprises depuis le début des
années 90 sur son effectivité ont permis d'inventorier quelques
améliorations à la fois pratiques et techniques de nature à corriger ses
faiblesses. De l'avis des experts,
la révision devait être envisagée au moyen de l’adoption d’un protocole
additionnel et non d’un amendement. De cette façon, le texte de la
Convention et de son Règlement d'application ne serait pas affecté dans
leurs principes fondamentaux. Ainsi, le Deuxième Protocole à la Convention
de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de
conflit armé a été adopté le 26 mars 1999, à l’issue de deux semaines de
négociations, par la Conférence diplomatique de La Haye du 15 au 26 mars
1999.
L’adoption du Deuxième Protocole constitue une étape
importante dans le dispositif de protection des biens culturels en cas de
conflit armé notamment en ce qu’il aborde des points décisifs tels que :
- exception en cas de nécessité militaire
- mesures préventives
- système de protection renforcée
- responsabilité pénale individuelle
- aspects institutionnels
Une autre avancée du Second Protocole consiste en ce que
l’accent soit mis sur la Convention de 1954 elle-même. Avec pour résultat,
qu’un nombre considérable d’Etats ont ratifié cette dernière depuis le
début du processus de révision et davantage encore depuis l’ouverture aux
ratifications.
Enfin, le Deuxième Protocole est un instrument
additionnel à la Convention de 1954. Il a été finalement décidé qu’il ne
l’amende en aucune manière mais ne fait que la compléter. Aussi, il n’est
applicable qu’aux Etats ayant ratifié la convention.
Entré en vigueur le 9 mars 2004 et ratifié, au 18
novembre 2004, par 24 Etats; ce Protocole est applicable tant aux conflits
internationaux qu’aux conflits non internationaux et est porteur d’un
certain nombre d’avancées que nous essaierons d’analyser.
Les mesures à prendre en temps de paix
1.-
Aspects institutionnels
Le protocole
donne des exemples précis des mesures concrètes à prendre en temps de paix
contre les effets prévisibles d’un conflit armé. (Ex : établissement
d’inventaires, préparation de l’enlèvement des biens culturels,
planification des mesures d’urgence, désignation d’autorités compétentes).
Un comité de 12 membres élus parmi les Etats qui sont Parties à la
Convention de 1954 et au deuxième Protocole est responsable du suivi et de
la supervision de l'application du Protocole. En particulier, ce "Comité
pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé"
a la charge d'accorder, de suspendre ou de retirer la protection renforcée
à des biens culturels. Le Comité est aussi chargé de l'administration d’un
« fonds pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé »
destiné à fournir aux Etats une assistance financière quant à la mise en
œuvre de mesures en temps de paix. Les ressources du Fonds proviennent de
contributions volontaires des Etats signataires et d'autres contributions.
2.-
Concours de l'UNESCO
Une Partie peut
faire appel au concours technique de l'UNESCO en vue de l'organisation de
la protection de ses biens culturels, par exemple les mesures
préparatoires en temps de paix, les mesures à prendre dans les situations
d'urgence et l'établissement d'inventaires nationaux. L'UNESCO a aussi le
droit de faire, de sa propre initiative, des propositions aux Parties pour
l'amélioration de la protection des biens culturels. Prévue à l’article 33
du Protocole, cette disposition peut s’avérer très précieuse dans le cadre
de la mise en œuvre concrète des règles juridiques de protections des
biens culturels en cas de conflit armé.
Le respect des biens culturels
1.-
Biens culturels en général
La
Convention de 1954 stipule clairement que les biens culturels doivent être
respectés pendant les opérations militaires. Les biens culturels
appartiennent généralement à des civils et, à ce titre, ils ne doivent pas
être attaqués, mais que se passe-t-il si ces biens sont détournés à des
fins militaires ? Deviennent-ils immédiatement des objectifs militaires ?
Le deuxième
Protocole donne des règles claires aux commandants militaires sur la façon
de réagir dans cette éventualité. Ces règles correspondent à notre
interprétation de ce qui constitue et de ce qui ne constitue pas un
objectif militaire en vertu du droit du conflit armé.
Sans vraiment les présenter en ces termes, le deuxième
Protocole énumère les règles concernant le respect des biens culturels,
d'abord du point de vue de "l'attaquant", puis du point de vue de
"l'attaqué", ce qui est extrêmement utile à des fins militaires. Il y est
question de "dérogations" qui peuvent être appliquées dans certaines
situations opérationnelles sur le fondement d'une nécessité militaire
impérative.
Du point de vue
de l'attaquant, une dérogation sur le fondement d'une nécessité militaire
impérative ne peut être invoquée pour diriger un acte d'hostilité contre
un bien culturel que lorsque et aussi longtemps que ce bien culturel, par
sa fonction, a été transformé en objectif militaire. Par exemple, il a été
pris par les militaires et transformé, du fait de son utilisation, en
objectif militaire. Si le bien répond maintenant à ces deux critères
cumulatifs définissant un objectif militaire, alors il peut être traité
comme tel. En effet, l'objectif militaire constitue maintenant une
contribution effective à l'action militaire de vos opposants et l'attaquer
vous donnerait un avantage militaire précis à ce moment donné. Il est
important de noter ici le libellé exact de la dérogation. Il mentionne un
acte d'hostilité. L'expression couvre toute la gamme des actions que vous
pouvez envisager d'entreprendre. Vous devez aussi prendre en compte les
précautions citées ci-après. Par exemple, "acte d'hostilité" ne signifie
pas nécessairement la destruction totale. La neutralisation pourrait vous
permettre d'atteindre votre but sur le plan militaire et entraîner moins
de dommages pour les biens culturels ; il n'existe pas d'autre solution
pratiquement possible pour obtenir un avantage militaire équivalant à
celui qui est offert par le fait de diriger un acte d'hostilité contre cet
objectif. Par exemple, vos opposants ont pu utiliser un pont historique
sur une rivière comme clé de leur défense. A moins d'investir le pont,
vous ne pouvez plus continuer votre avance. Dans ces conditions, la
dérogation peut être invoquée. Il faut s'assurer toutefois d'avoir pris en
compte tous les facteurs pertinents. En particulier, il faut se souvenir
que le droit vous impose de considérer que, lorsque le choix est possible
entre plusieurs objectifs militaires pour obtenir un avantage militaire
équivalent, et que l'un d'eux s'avère être un bien culturel, une attaque
sur ce dernier devrait être évitée6. S'il y a d'autres ponts en amont ou
en aval qui vous offrent le même avantage militaire, il faut alors les
attaquer et les investir et ne pas toucher au pont historique ; en cas
d'attaque fondée sur une décision prise conformément aux circonstances
décrites ci-dessus, un avertissement doit être donné en temps utile et par
des moyens efficaces, lorsque les circonstances le permettent.
Qu'entend-on par "moyens efficaces" ? D'après d'autres domaines du droit
où il est fait référence à des dérogations7, et du point de vue du strict
bon sens militaire, nous pouvons dire que l'expression "moyens efficaces"
signifie que l'avertissement est effectivement reçu et compris et que la
partie adverse dispose d'un temps raisonnable pour s'y conformer. Un
avertissement, suivi aussitôt d'un tir d'artillerie ou d'une frappe
aérienne, ne correspondrait pas vraiment à ce critère. De plus, une telle
démarche ne serait guère défendable du point de vue militaire.
Du point de vue
de l'attaqué, une dérogation sur le fondement d'une nécessité militaire
impérative ne peut être invoquée pour utiliser des biens culturels à des
fins qui sont susceptibles de les exposer à la destruction ou à la
détérioration que lorsque et aussi longtemps qu'aucun choix n'est possible
entre une telle utilisation des biens culturels et une autre méthode
pratiquement possible pour obtenir un avantage militaire équivalent. Ici
encore, nous pouvons reprendre le scénario du pont mais cette fois-ci
inverser les rôles et nous placer dans la position de l'attaqué. Nous ne
pourrions justifier l'utilisation du pont historique que s'il était
absolument vital pour notre défense et s'il constituait la seule méthode
possible pour bloquer l'avance de l'ennemi.
Enfin,
la
décision d'invoquer une nécessité militaire impérative et d'attaquer ou
d'utiliser des biens culturels sur la base des dérogations mentionnées
ci-dessus ne peut être prise que par le chef d'une formation égale ou
supérieure en importance à un bataillon, ou par une formation de taille
plus petite, lorsque les circonstances ne permettent pas de procéder
autrement. Cette approche pragmatique des réalités de la bataille donne
une certaine souplesse aux militaires. Elle assure qu'en cas d'urgence, en
l'absence d'un ordre d'un commandant de bataillon, des subalternes peuvent
réagir et prendre une initiative qu'ils jugent absolument nécessaire.
Ainsi, ils ne sont pas indûment exposés dans l'attente d'une décision.
Ainsi, dans un
souci de modernisation et d’alignement sur le système du droit
international humanitaire dégagé par les protocoles de 1977, les
rédacteurs du Deuxième protocole ont précisé qu’en principe, les biens
culturels sont des biens civils insusceptibles de toute attaque sauf s’ils
deviennent des objectifs militaires au sens de l’article 52 du Protocole
additionnel de 1977. Les biens culturels peuvent aussi être utilisés pour
l’action militaire mais uniquement dans les hypothèses de nécessité
militaire impérative c’est à dire « lorsque et aussi longtemps qu’aucun
autre choix n’est possible entre une telle utilisation des biens culturels
et une autre méthode pratiquement possible pour obtenir un avantage
militaire équivalent ».
2.-
Biens culturels sous protection renforcée
Le
système de protection spéciale instauré par la Convention de 1954 s’étant
montré largement inopérant pour de multiples raisons, le Protocole
additionnel se devait de mettre sur pied un nouveau système : système de
protection renforcée. Par rapport au système de protection général, la
protection de base est la même. Le bien ne peut être détruit, saisi ou
neutralisé. Toutefois, dans le cas des biens culturels sous protection
générale, la partie qui détient le bien a le droit, si besoin est, de le
convertir en objectif militaire et de l’utiliser pour l’action militaire.
Dans le cas de la protection renforcée, cette possibilité n’existe pas. Au
contraire, l’utilisation à des fins militaires d’un bien jouissant de la
protection renforcée constitue une violation grave du deuxième Protocole,
entraîne des sanctions pénales et est qualifiable de crime de guerre.
Les conditions requises à l’attaque
1.-
Tous les biens culturels
Le deuxième Protocole prévoit que tous les
biens culturels devenus des objectifs militaires jouissent d’une
protection supplémentaire. Il est notamment obligatoire, en cas d’attaque,
de donner un avertissement en temps utiles par des moyens efficaces. Cette
protection tend à se rapprocher de celle instaurée pour la population.
2.-Les
biens culturels sous protection renforcée
Pour
ces biens culturels, la partie adverse doit impérativement être avertie et
la décision d’attaquer doit être prise au plus haut niveau gouvernemental
sauf si les circonstances ne permettent pas qu’elles soient remplies « en
raison des exigences de légitime défense immédiate».
De plus, le
Protocole reprend les règles énoncées à l’article 57 du Protocole
additionnel I et les applique spécifiquement aux biens culturels. Il en va
de même pour l’article 58 dudit Protocole qui porte sur les précautions
passives à prendre.
La responsabilité pénale individuelle
L’article 28
de la Convention de 1954 invitait les Etats à prendre les mesures
nécessaires pour que les violations des règles de protection des biens
culturels soient sanctionnées pénalement. Or, le Second Protocole va plus
loin. S’appuyant sur le Protocole additionnel I et sur le statut de la
Cour Pénale Internationale, il dresse en son article 15 une liste
d’infractions pénales intentionnelles (cinq infractions graves) que les
Etats ont le devoir spécifique de criminaliser dans leur législation
nationale.
Chaque Etat
Partie doit adopter les mesures législatives nécessaires pour établir sa
compétence à l'égard des infractions ci-dessus dans les cas suivants :
- l'infraction a été commise sur son territoire,
- l'auteur présumé est un ressortissant de cet Etat,
s'agissant des infractions 1 à 3, lorsque l'auteur
présumé est présent sur le territoire de cet Etat (article 16).
La raison qui justifie la compétence élargie concernant
les infractions 1 à 3 est qu'elles constituent "des violations graves" des
Conventions de Genève. Les Etats ont le devoir soit de juger dans leurs
propres tribunaux soit d'extrader les personnes qui ne sont pas leurs
ressortissants pour infractions graves commises à l'étranger et qui sont
présentes sur leur territoire. Ces dispositions traduisent la volonté de
faire prévaloir le principe de la compétence universelle facultative pour
les crimes de guerre, en vertu duquel tous les Etats sont compétents pour
juger des non-ressortissants accusés de crimes de guerre commis dans un
autre pays.
Conclusion
L’adoption du Deuxième Protocole a représenté un progrès
important en matière de protection juridique des biens culturels en cas de
conflits armés dans la mesure où il devrait contribuer à combler les
lacunes de la Convention de 1954 et offrir des solutions appropriées pour
y remédier. Cependant, il reste à souhaiter que ses apports soient suivis
d’effets et que les destructions de biens culturels ne soient que
sporadiques. En effet, il ne faut jamais oublier que les outrances contre
les biens culturels sont autant d’atteintes à la dignité humaine.
De plus, il
convient de rappeler que la Déclaration de la
Conférence générale de l’UNESCO, réunie à Paris à l'occasion de sa 32e
session le 17 octobre 2003, relative à la destruction
intentionnelle du patrimoine culturel constitue une
formidable avancée pour la protection des biens culturels en cas de
conflit armé. Véritable prise de conscience de la communauté
internationale, cette déclaration condamne non seulement les atteintes
antérieures à l’intégrité des biens culturels mais synthétise également
les actions à mener par les Etats confrontés à une telle situation. En réaffirmant
l'un des principes fondamentaux du Préambule de la Convention de La Haye
de 1954, qui stipule que "les atteintes portées aux biens culturels, à
quelque peuple qu'ils appartiennent, constituent des atteintes au
patrimoine culturel de l'humanité entière, étant donné que chaque peuple
apporte sa contribution à la culture mondiale", la Conférence générale de
l’UNESCO marque ainsi la volonté des Etats membres de se donner les moyens
de lutter contre la destruction massive et intentionnelle du patrimoine
culturel.
Reste donc à
former le vœux que les
exactions
commises tant en Afghanistan qu’en Iraq ne se répéter pas et que la
capacité des divers instruments internationaux conjuguée à l’action des
organisations internationales et plus largement à celle de la communauté
internationale auront raison du «terrorisme culturel» qui a pu sévir tant
dans les conflits armés internationaux que non internationaux.
Ingénieur d’études au CNRS
Voir articles 24, 27 et 29 du Protocole
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