Magyar Könyvszemle   114. évf. 1998. 4.szám   Vissza a tartalomjegyzékhez

FIGYELÕ

Modernisation – culture – assistance technique.[1] A cette époque de fin de siècle, il est peut-être plus opportun que jamais d’examiner de plus près le rapport entre la culture et le développement économique et que ce rapport a-t-il contribué à la division du monde essentiellement en deux sphères économiques: centre et périphérie (ou Nord et Sud).

1. Centre et périphérie (Nord – Sud)

Le passé, l’histoire peuvent nécessairement y contribuer, sans pour autant offrir en eux-mêmes des réponses. L’amas des données historico-statistiques nationales et internationales existantes ne constitue en soi le point de repère pour les décennies à venir. Toutefois, l’examen de ce passé est inévitable.

La relation entre le développement économique et le niveau culturel n’a jamais été mise en question par quelque thèse scientifique qu’elle soit. Le rythme et le niveau réalisable du développement économique dépendent indéniablement du patrimoine culturel de la population pour autant que la culture-même peut être considérée comme une force productive, donc comme un facteur important de la croissance économique. En même temps, c’est le développement économique en particulier qui peut engendrer les principaux moyens nécessaires à l’expansion de la culture à long terme. Ce sont l’amélioration des conditions de vie et les investissements dans le facteur humain. Dans ce contexte, ce n’est point la seule éducation qu’on peut considérer comme synonyme de la culture, mais cette dernière constitue la manifestation la plus générale et la plus marquante de l’activité humaine. D’innombrables rapports, monographies, communications et analyses portent sur l’assistance technique multilatérale fournie aux pays en voie de développement et sur les rapports entre le centre et la périphérie (Nord – Sud).

Plusieurs entre eux font état plutôt de l’élargissement que du rétrécissement du fossé entre pays développés et en voie de développement. Cela ne signifie pas la dépréciation des efforts de l’assistance technique mais il paraît que l’accélération du développement au centre était telle que le fossé des différences ne put que se creuser. Un des plus importants facteurs en est que les relations entre la culture et l’économie ont principalement été réalisées sous forme d’alphabétisation en organisant l’éducation primaire et en créant des établissements culturels tels que les bibliothèques, les musées, les archives etc., sans tenir compte de manière synergique du rôle de la culture dans sa complexité extraordinaire.

2. La notion de la culture et l’assistance technique avec des exemples

La culture englobe évidemment avant tout l’éducation avec ses différents niveaux, mais aussi les traditions, les comportements, les habitudes familiales et sexuelles, les goûts, les conditions aliméntaires et de loisirs, alors qu’elle-même est influencée par les préjugés hérités. La propagation des connaissances au-delà du système scolaire, les média, l’électronique, les maisons de la culture, les théâtres et les salles de musique jouent un rôle prépondérant sur le plan institutionnel.

Afin de démontrer la complexité des facteurs culturels, prenons un cas où l’assistance technique comprenait la construction des voies de chemin de fer à travers la forêt vers la mer, en vue de développer les possibilités d’exportation. Le pays offrant l’assistance y avait naturellement aussi ses intérêts économiques. La technique développée, des ingénieurs, des topographes, des machines et d’autres éléments nécessaires à un investissement de cette envergure ont fait leur apparition, y compris la main-d’oeuvre qualifiée. Mais la construction ferroviaire nécessite aussi un nombre considérable d’ouvriers non-qualifiés ou semi-qualifiés. Il s’agit d’un territoire tribal [423 dans des zones africaines. A la suite du recrutement de la main-d’oeuvre et grâce à la construction, une fraction de gens, ayant jusqu’alors vécu dans la misère, profitera des conditions incomparablement meilleures. De toute évidence, cette main-d’oeuvre sera suivie de sa famille nombreuse en vue de trouver de conditions de survie plus favorables. Mais bientôt les relations tribales entraîneront sur les lieux une foule de parenté, rendant ainsi impossible le travail du seul membre de famille ayant l’emploi. Du fait qu’il n’est plus possible de nourrir toute cette masse familiale, ils se retournent au lieu de départ, aux circonstances les plus primitives.

Dans d’autres cas, dans le cadre des programmes d’industrialisation où le scénario de la première phase était le même, la technique nouvelle arrive sur les lieux. Le recrutement de la main-d’oeuvre non qualifiée ou à instruire commence. Mais les hommes de la région n’avaient pas l’habitude de travailler dans une organisation tandis que l’entretien de la famille nombreuse, le soin aux enfants, incombant à la femme, bref, il n’y avait personne ou très peu pour être engagée. Il fallait donc soit abandonner l’idée de l’implantation industrielle, soit importer de la main-d’oeuvre.

Tout cela prouve que ce ne sont pas l’alphabétisation ou l’éducation primaire seulement qui contribuent aux limitations des différences économiques mais l’héritage culturel dans son intégralité. De toute vraisemblance, les programmes de développement économique devraient être préparés d’abord par des anthropologues, des ethnographes, des historiens capables d’identifier la situation de la main-d’oeuvre potentiellement disponible. Il s’agit de la priorité des facteurs humains.

Une question incontournable de ces pensées est aussi celle de la santé dans la culture. Le climat tropical est mieux supporté par ceux qui peuvent travailler, se reposer, se nourrir etc. conformément aux conditions locales existantes. Dans des territoires tropicaux ou très chauds, on rencontre assez souvent le phénomène que les gens font la sieste là où ils se trouvent. Les rues ne se réaniment que lorsque la chaleur diminue. Cette façon de vivre marche ainsi à travers des générations, les habitudes défensives de la population dues aux conditions climatiques deviendront héréditaires. Par contre, si un changement économique intervient, la même population ou une partie peut s’adapter au climat du point de vue de travail, de nutrition etc. Il est alors très probable – et c’est une hypothèse – que les générations suivantes de cette population s’adapteront à ces nouvelles conditions. Dans une perspective plus large, elles s’adapteront aux études scolaires, au travail, à certains comportements jusqu’alors impossibles.

3. „Sous un toit commun”: centre culturel multifonctionnel et/ou division du travail

Dans leur ensemble, les aspects culturels du processus de développement peuvent être aussi conçus d’une autre manière du point de vue de l’acquisition des connaissances. D’après certaines études, la population traditionnelle, auparavant basée sur la communication verbale, passe à l’écriture et à la lecture, puis à la littérature spécialisée. L’information se produit par l’intermédiaire des canaux de communication comprenant non seulement les média électroniques mais aussi les institutions culturelles comme les bibliothèques etc. Donc les bases du travail scientifique peuvent être jetées. En fin de compte, il s’agit de la modernisation menant à la diminution des différences économiques. De cette façon, la modernisation est étroitement liée au patrimoine culturel et elle n’est pas seulement fonction du flux des capitaux et du niveau des investissements. En effet, on peut mentionner que – dans le cadre de l’assistance technique – beaucoup d’efforts ont été déployés pour assurer la formation universitaire des futurs intellectuels des pays en voie de développement. Et le résultat? Un nombre non-négligeable des spécialistes nouvellement formés ne veut ou ne peut plus retourner au pays d’origine. On peut les comprendre. En principe, il est possible de transférer la technologie de pointe sans limitation mais le transfert de l’environnement technique et des conditions de vie auxquelles ces gens se sont habitués dans les pays développés, n’est pas faisable. Une des conséquences de ce qui vient d’être dit est le fait que la division du travail comme [424 promoteur du développement de l’économie de marché, ne peut être appliquée sans réserve comme modèle dans la périphérie. Il serait probablement plus efficace d’appliquer un développement culturel „sous un toit commun” en particulier dans les pays souffrant simultanément de la pénurie du capital et du manque de spécialistes et de main-d’oeuvre appropriée. Il ne s’agit pas seulement d’établir sous un même toit p.ex. une bibliothèque nationale et les archives centrales, mais aussi de rattacher à un tel centre culturel et éducatif la formation de la main-d’oeuvre qualifiée, de même qu’une maison d’édition de la langue nationale pour la diffusion des imprimés. Cette idée ne se veut pas de centralisation absolue mais dans certaines circonstances peut contribuer à l’amélioration de l’efficacité de la formation. L’éducation étant le fondement de la culture, ainsi la formation des spécialistes agraires par exemple pourrait bien être rattachée à un centre culturel multifonctionnel.

Pour ne pas mentionner d’autres avantages, on peut avancer les aspects positifs d’une pareille concentration: la gestion, la rationalisation de l’administration et l’infrastructure. Cela va tout autrement dans l’enseignement supérieur, la médecine par exemple. L’approfondissement du fossé entre le centre et la périphérie déjà précitée ne renforce point les intentions de recourir sans réserve à la division du travail dans la périphérie.

Le rattrapage modernisateur – dont les peines sont traditionnellement surtout connues par des pays africains, asiatiques et latino-américains – se manifeste depuis la fin des années 80 d’une certaine manière dans les pays d’Europe Centrale et Orientale également. Ces transformations constituent des crises structurelles économiques et sociales (Schumpeter). Ces crises sont engendrées de temps en temps, à la suite des changements d’époque technologiques, quand l’enchaînement des innovations repose sur des bases techniques nouvelles.

Vers la fin de notre siècle, ce changement est la révolution électronique rattachée au développement sans précédent de la technologie de la communication. Cette période est connue généralement comme société d’information.

On peut se demander si développement et richesse économique dans le centre sont-ils possibles sans des conditions du sous-développement et la pauvreté de la périphérie? Mais la question de base serait plutôt: le développement économique est-il possible sans le progrès culturel? Le sous-développement va de pair avec le manque de la culture. Mais dans ce contexte, il ne s’agit pas de la culture toute entière mais du bon ou moins bon fonctionnement de certains de ses composantes. Il y a des exemples où on trouve un bien-être général correspondant à des conditions naturelles et sociales spécifiques, même en l’absence d’un haut niveau de certains aspects de la culture comme les arts, par exemple. Les gens qui vivent dans ces conditions, ne sont pas forcément les plus cultivés voir p.ex. le Human Development Report de l’ONU-PNUD.

4. Niveau culturel – l’écrit – l’électronique

Y a-t-il de véritables intérêts dans l’arrière-plan du nivellement culturel et économique? De même, existe-t-il un vrai niveau minimum culturel et économique? Les intérêts sont effectivement déterminés par l’économie de marché. L’intérêt est de se créer une demande solvable dans la périphérie et de promouvoir des circonstances favorables à ce que cette dernière ne soit un marché uniquement, mais aussi le fournisseur de la matière première et de la main-d’oeuvre à bon marché. Le phénomène de la main-d’oeuvre étrangère est généralement de la même nature.

A ce propos, on pourrait essayer de définir le niveau minimum de la culture. Il s’agit en effet de l’identité culturelle. Leur transformation, pour être percevable, est un long processus historique. L’identité fondée sur les traditions peut être divisée en deux éléments principaux. L’un est le verbalisme, l’autre est l’écrit. Dans l’ère de modernisation et de civilisation, c’est surtout l’écrit qui est porteur de l’identité culturelle promouvant à son tour la modernisation et le développement économique. [425 La lecture, manifestation matérielle de l’écrit a un rôle éminent dans le développement économique dès le début de l’impression des livres au quinzième siècle. Cette découverte fera la vraie différence par rapport aux traditions. C’est alors que le doute, la critique, la réflexion pourront devenir massifs de manière cultivée. Et c’est aussi par là que l’écrit, la lecture deviendront une catégorie économique. L’écrit permet toute critique et en même temps forme l’opinion publique. C’est ainsi que les connaissances pourront être largement diffusées. Les nouvelles structures porteuses de l’information n’en changent rien du simple fait qu’elles se basent aussi sur l’écrit, c.à.d. sur la lecture. Ces nouvelles structures formées au cours des dernières années et appelées super-autoroutes de l’information (S.A.I.) sont les vraies manifestations de la société d’information. La technologie de communication indispensable au fonctionnement de ces systèmes est en même temps le moyen d’une nouvelle prolifération de l’écrit. L’Internet et d’autres entreprises du même genre ont déjà commencé la réalisation pratique de ce processus. La manifestation des S.A.I. est la plus importante dans l’économie et dans les finances et fait partie intégrante de la recherche scientifique et de la culture sans dominer ces dernières.

Pour connaître la préhistoire du processus, il convient de noter que l’écrit et la lecture sont déterminés par trois périodes historiques et sociales principales:

° A l’époque de la primauté de la production agricole, l’écrit se manifeste de manière directe, les gens sachant écrire sont en relation directe les uns avec les autres, puis à partir du 15e siècle, la révolution du livre entraînera la massification de l’écrit.

° Dès la révolution industrielle anglaise, l’écrit et la lecture deviendront encore plus massifs et en plus des livres, une multitude de périodiques feront apparition. Leur abondance entraînera l’information secondaire (d’abord la chimie), l’apparition des bulletins signalétiques, bibliographies etc. Ce processus continue approximativement jusqu’à la seconde moitié de notre siècle.

° Les bases de données constituent les faits de la période qui suit la seconde guerre mondiale, la période poste-industrielle. Elles deviennent massives à la suite du développement de la télécommunication.

Ces trois étapes sont suivies d’un nouveau phénomène technique et historique dénommé S.A.I. et le réseau mondial, l’Internet est créé. Les éléments scientifiques et techniques des S.A.I. sont beaucoup plus élaborés que ses aspects sociaux et culturels. On peut, d’ores-et-déjà, avancer l’hypothèse que l’analyse de ces aspects va démontrer la cohabitation, la coexistence entre l’héritage culturel et la numérisation. En fonction des temps, des conditions, du domaine de recherche, des traditions régionales et nationales, c’est ou bien la recherche traditionnelle ou bien l’utilisation de la S.A.I. qui est mise au premier plan. Il s’agit là d’un processus d’intégration. Les relations entre identité culturelle et développement économique peuvent aussi bien être amplifiées qu’affaiblies. A côte de la vision technique, les conceptions socio-culturelles de la S.A.I. restent encore à être plus élaborées.

A l’aide d’ordinateurs personnels installés à domicile, les appartements deviennent en même temps des lieux de travail.

Ces procédés pourraient les mettre en application sans dire un mot à qui que ce soit. Le soi-disant effet-cathédral concernant les visiteurs d’un musée, d’un concert ou d’une bibliothèque, peut être voué à l’oubli. A la limite, on pourrait même tirer la conclusion ad absurdum que cette technique est en mesure de contribuer au commencement de la fin du dialogue humain direct ou en d’autres termes, à l’approfondissement du processus d’aliénation.

Les avantages offerts par les S.A.I. dans la recherche et dans une certaine mesure dans l’éducation, l’échange d’informations ou pour les personnes handicapées, malades etc., sont tellement importants que ces avantages deviendront indispensables après un certain temps. Simultanément, le recours absolu aux S.A.I. peut détériorer ou appauvrir la pensée, surtout celle [426 de la jeunesse, l’esthétique et tout ce qui aurait un rapport avec la lecture conventionnelle et alternativement avec la présence dans les institutions culturelles.

Donc, du point de vue de la culture et de l’écrit, on pourrait considérer l’idée de la bibliothèque „sans papier” comme une maladie enfantine.

5. Les visions de Victor Hugo et de Leonardo

En conclusion: il paraît inévitable de repenser l’effet de l’héritage culturel sur les différences économiques en prenant en considération les relations entre centre et périphérie également. Il paraît à la fois important que l’identité culturelle soit enfin examinée de manière synergique concernant la société d’information et par rapport aux S.A.I. Il est probable que dans l’actuelle phase du développement technique entraînant de nouveaux problèmes, il serait nécessaire de réviser les idées afin de parvenir à un meilleur équilibre entre le centre et la périhérie. On pourrait considérer de nouvelles expérimentations en vue de diminuer les différences économiques de ce monde divisé. Il faut mettre l’accent sur la notion „diminuer” car la suppression totale des différences reste une utopie. Par contre, repenser ces problèmes peut aboutir à d’autres expérimentations et résultats. Il serait de la naïveté de ne pas tenir compte des intérêts politiques et économiques à l’intérieur même du centre, sans oublier la périphérie ravagée de luttes incessantes voire de guerres. Autrement dit, toute idée ou étude doit prendre en considération les circonstances concrètes. Comme départ, un forum international culturel et scientifique pourrait lancer des approches nouvelles, poser les questions à repenser et analyser de plus près les rapports entre le patrimoine culturel et le niveau économique. L’initiative pour l’INFOETHIQUE est une preuve de cette idée. Les recommandations d’un tel forum pourraient catalyser et initier un nouveaux flux de réflexions aussi bien sur le plan national qu’international. Ceci pourrait peu à peu aboutir à de nouvelles initiatives constructives.

Ce forum serait aussi en mesure de servir comme base à l’élaboration d’une synthèse des idées de changements susmentionnés. En plus, il serait utile de traiter certaines questions comme par exemple la notion même de la culture, les possibilités concrètes et, par conséquent, le nivellement c.à.d. la diminution des différences entre l’identité culturelle et la croissance économique, le rapport entre assistance technique et modèle de division du travail. Et comment aboutir à l’harmonisation du rôle prépondérant de l’écrit et de la lecture avec la super-autoroute de l’information?

La vision qui est la plus humaine à mon avis, et à la fois la „plus moderne” est celle de Victor Hugo dans son discours donné devant l’Assemblée Nationale en 1850. Selon cette vision le coeur du peuple doit être lié au cerveau du pays (surtout par la lecture). Leonardo da Vinci a imaginé et présenté les proportions humaines idéales avec quatre bras et quatre jambes. Au sens figuré, il s’agit de l’accomplissement de la capacité humaine. Mais cet accomplissement ne serait pas probablement la société d’information basée sur les S.A.I. mais une société basée sur la solidarité imprégnée de l’informatique. Cette vision est-elle utopique? Pour le moment oui, mais l’avenir est toujours un sujet de discussion.

Rózsa, György


[1] UNESCO. INFOéthique ’98. Culture et électronique. Monte Carlo, Monaco, 1–3 octobre 1998. [Exposé/elõadás]